Sexualité : casser les schémas pour se reconnecter à soi et à l’autre
Par Flavie Taisne, sexothérapeute
La sexualité occupe une place paradoxale dans nos vies : omniprésente dans la société, mais souvent absente des vraies conversations. Derrière les images et les discours qui nous entourent, beaucoup d’entre nous ont grandi avec des idées reçues, des modèles et des non-dits qui influencent profondément notre rapport au corps, au plaisir et au lien.
Ces schémas se glissent dans nos relations sans que nous en ayons conscience. Ils peuvent limiter notre épanouissement, créer des malentendus, ou simplement nous éloigner de ce que nous ressentons vraiment. Comprendre d’où viennent ces croyances est souvent le premier pas pour pouvoir s’en libérer.
Les schémas inconscients qui façonnent notre sexualité
Dès l’enfance, chacun reçoit des messages implicites sur la sexualité. Ces messages deviennent des repères : ce qu’il “faut” faire, ce qu’il “faut” ressentir, ce qu’il “faut” attendre de l’autre. Ces normes sont souvent genrées : les hommes seraient animés par un désir constant et spontané, les femmes par l’émotion, la retenue ou le devoir conjugal.
Ces rôles sexués sont réducteurs pour tout le monde. Ils enferment les partenaires dans des positions figées : l’un se sent obligé d’être toujours dans le désir, l’autre se coupe de son corps pour répondre à ce qu’elle pense être attendu.
À cela s’ajoute une vision très mécanique de la sexualité, centrée sur la performance sexuelle et sur la pénétration comme unique signe de “vrai rapport”. Cette approche laisse peu de place à la sensibilité, à la lenteur, à la diversité des formes d’intimité. Elle crée une distance entre les partenaires, une pression invisible, et souvent une perte de spontanéité.
Redonner du sens à la sexualité
La sexualité épanouie ne devrait pas être une obligation ni un indicateur de performance. Elle est une expérience vivante, mouvante, qui évolue avec les corps, les âges, les émotions et les périodes de vie. Elle commence bien avant l’acte lui-même : dans le regard, la tendresse, l’écoute, le jeu, le désir de se retrouver.
Il est essentiel de redéfinir la sexualité à deux. Cela nécessite de parler de ce que l’on aime, de ce que l’on ressent, mais aussi de ce dont on n’a pas envie. Dans certaines périodes, la pénétration n’est pas possible ou n’est simplement pas souhaitée. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’intimité. Une étreinte, un geste, une peau contre l’autre peuvent suffire à entretenir le lien affectif et corporel. La sexualité, c’est avant tout la qualité de la rencontre, pas la quantité des actes.
La fréquence n’est pas un indicateur de bonne santé
La croyance selon laquelle un couple heureux doit avoir des rapports fréquents est très répandue. En réalité, il n’existe aucune norme valable pour tous. Ce qui importe, c’est l’accord entre les deux partenaires : est-ce que ce rythme nous convient ? Est-ce qu’il respecte nos envies et nos besoins à chacun ? Est-ce qu’il permet de maintenir une connexion entre nous ?
Un couple qui s’aime peut traverser des périodes de distance physique sans que cela ne traduise un désamour.
Ce qui nourrit la relation, c’est le lien émotionnel : la parole, la tendresse, la reconnaissance du désir, même simplement exprimé. Dire “je te désire” ou “tu me manques” entretient cette connexion invisible qui soutient le couple, même quand la vie ralentit les corps.
Le désir, une énergie qui se cultive
Le désir sexuel n’est pas une flamme immuable. Il vit, il fluctue, il s’endort parfois, mais il peut toujours renaître.
Avec les années, la routine, les changements de vie ou les transformations du corps, le désir se manifeste différemment. Il ne s’agit pas de le forcer, mais de lui redonner de la place.
Retrouver le désir de l’autre, c’est cultiver la curiosité : oser le regard neuf sur l’autre, redécouvrir son corps, partager un moment tendre sans attente. Le désir se nourrit du jeu, de la surprise, de la complicité. Il ne se commande pas, mais il peut se réveiller dès que la relation se remet à respirer.
L’orgasme n’est pas un objectif
La recherche systématique de l’orgasme a transformé la sexualité en épreuve de réussite. Cette pression est contre-productive : elle empêche d’être présent à ce que l’on ressent. L’essence de la sexualité n’est pas dans la performance, mais dans la connexion à soi et à l’autre : sentir, écouter, donner, recevoir.
Certaines personnes ne connaissent pas ou peu l’orgasme, et cela ne signifie pas qu’elles sont anormales ou incomplètes. Le plaisir sexuel est une expérience bien plus vaste. Il naît du contact, du souffle, de la présence,
et il prend des formes infinies.
Se libérer des schémas pour créer sa propre sexualité
Les modèles sexuels que nous avons reçus ne sont pas une fatalité. Nous avons tous la possibilité de construire une sexualité qui nous ressemble, à condition d’observer ce que nous reproduisons sans le vouloir. Cela commence par une prise de conscience : d’où viennent mes idées sur la sexualité ? De qui ou de quoi les ai-je apprises ? Est-ce que ces représentations me conviennent encore ?
Se libérer des schémas, ce n’est pas tout recommencer, mais remettre du choix dans nos gestes et dans nos mots.
C’est oser une sexualité plus lente, plus consciente, plus vivante. C’est aussi accepter que cette liberté se découvre à deux, dans un dialogue bienveillant, sans jugement, où chacun apprend à écouter et à exprimer ce qu’il ressent.
Casser les schémas sexuels, ce n’est pas rejeter son histoire, mais s’en affranchir pour mieux se rencontrer.
La sexualité n’a pas à être conforme à une norme : elle peut être tendre, rare, joyeuse, profonde, drôle ou silencieuse. Elle est un espace d’exploration, un langage unique entre deux êtres.
Se reconnecter à soi et à l’autre, c’est oser une sexualité authentique et apaisée , une sexualité qui ne cherche pas à ressembler à ce qu’on nous a appris, mais à ce que nous sommes réellement.
Se (re)connecter autrement ?
Pour faire évoluer sa sexualité, il faut parfois simplement commencer à se parler.
Voici quelques questions à se poser pour nourrir cette connexion :
Qu’est-ce que j’ai appris de la sexualité, et qu’est-ce que j’aimerais désapprendre ?
À quels moments je me sens le plus proche de l’autre, au-delà du corps ?
Quelle nouvelle façon d’être en lien aurions-nous envie d’explorer ensemble ?
La sexualité, c’est avant tout une conversation. Et chaque mot échangé, chaque geste sincère, peut être une porte vers une intimité plus libre et plus vivante.